mardi 13 janvier 2015

"RACISTE, SEXISTE, HOMOPHOBE" : CHARLIE HEBDO CALOMNIÉ

J'ai vu passer ces derniers jours beaucoup d'articles (principalement en anglais) affirmant que Charlie Hebdo était un journal raciste, homophobe et sexiste. A l'appui, des dessins issus du journal utilisés à mauvais escient... car ils disent le contraire de ce que veulent leur faire dire les auteurs des articles !
Il s'agit d'articles purement calomniateurs que je vais ici tenter de démonter.






Tout d'abord, il faut essayer de comprendre l'esprit de ce journal, lié à une tradition française de la satire bien spécifique, et parfois difficile à comprendre de l'extérieur.
Né à la fin des années 1960, Charlie Hebdo est lié à un mensuel satirique à l'humour noir et dévastateur, ne respectant aucun pouvoir, aucune institution : Hara Kiri, plusieurs fois censuré et interdit par le pouvoir en place.
Les deux revues sont créées par des dessinateurs humoristes proches de la mouvance gauchiste (anarchistes, communistes, écologistes). Leurs cibles favorites sont l'armée, l’Église, le gouvernement, les patrons et les mouvements fascistes. Cette double identité politique et artistique a son importance. Dans les pages du journal, on trouve à la fois des dessins, des textes et des reportages promouvant leurs combats (écologie, féminisme, anticléricalisme, antimilitarisme...) et d'autres réagissant avec une extrême violence humoristique à l'actualité politique, tournant en dérision absolument tout : aussi bien les dirigeants que les dirigés, tant les criminels que leurs victimes et les familles de ces dernières. Si l'on pouvait résumer leur profession de foi, ce serait : RIEN N'EST SACRÉ ! Il faut rire de, taper sur tout le monde afin de transcender l'actualité, la vie même. Plus qu'un journal gauchiste, il s'agit en fait d'un journal nihiliste, représentatif de l'époque qui l'a vu naître, prônant qu'il faut TOUT remettre en question.

Étant systématiquement liée à l'actualité politique, chaque image doit être comprise dans son contexte, son époque, son espace de réception (la société française) et la culture française en général. Le ton est fortement sarcastique, violent, érotique, grossier, parfois surréaliste.

Je prendrai ici pour exemple trois images dont se servent ceux qui accusent la revue de tous ces maux.

Dans la première, on voit une femme noire dessinée en singe. Quoi de plus raciste me direz-vous ? Sauf que le dessin ne se moque pas de cette femme. C'est une référence à une couverture d'un journal d'extrême-droite, Minute, qui avait titré « Taubira [la ministre de la Justice] retrouve la banane », la comparant ainsi à un singe, métaphore raciste ignoble. Le texte au dessus du dessin, « Rassemblement bleu raciste » parodie le slogan du parti d'extrême-droite le Front national « Rassemblement bleu marine » (du nom de son chef Marine Le Pen). Loin d'être une caricature raciste, il s'agit en fait d'une dénonciation du racisme de Minute et du Front national.

Dans la deuxième, « Bonne année, bonne quenelle », un noir a un objet phallique (en fait une quenelle) dans le cul. Il faut savoir qui est ce personnage. Il s'agit de Dieudonné, un humoriste-politicien d'extrême-droite ayant fait un succès à force de provocations antisémites. Il a popularisé un geste de ralliement avec ses fans, qualifié de « quenelle », à mi-chemin entre salut nazi et bras d'honneur (ce qui en France signifie « je t'encule »). Le dessinateur renverse donc le geste vers son initiateur pour l'enculer à son tour et donc... le dénoncer.

Dans le troisième dessin, deux femmes en extase – visiblement deux lesbiennes – regardent un crucifix souillé de secrétions vaginales. Un dessin homophobe ? Il s'agit en fait de Frigide Barjot et de Christine Boutin, les deux leaders du mouvement réactionnaire, massivement composé de catholiques intégristes, opposé au mariage homosexuel « la manif pour tous ». La légende, « 2 mamans, 1 sextoy ? » parodie le slogan du mouvement « 1 papa, 1 maman » qui voit dans l'autorisation du mariage homosexuel la destruction de la civilisation chrétienne occidentale. En transformant ces deux personnes en ce qu'elles combattent, deux lesbiennes, de surcroît obsédés par un godemichet improvisé (un crucifix au caractère sacré qui est ici transformé en objet trivial), la dessinatrice Coco montre leur vraie nature : ce sont deux obsédées irrationnelles, obsédées en réalité bien sûr non pas par le sexe mais par une croyance absurde et anachronique en une apocalypse morale. La cible n'est donc pas la communauté homosexuelle mais bien ses opposants.

On peut trouver ces dessins de mauvais goût, ne pas les trouver drôles mais les qualifier de racistes, d'homophobes ou de sexistes est de la pure DÉSINFORMATION.
On peut être choqué que ces dessinateurs attaquent telle ou telle personne, telle ou telle institution, telle ou telle groupe. Mais à partir du moment où on interdit de se moquer de quelqu'un ou de quelque chose, il n'est plus d'humour possible. L'humour (surtout celui de Charlie Hebdo) est féroce et n'épargne personne. C'est dans sa nature.

Au sein de l'extrême-gauche française, il existe une polémique autour de Charlie Hebdo. Une partie de celle-ci accusant le journal d'être « irresponsable », de trop se moquer de l'islam à un moment inopportun, alors qu'une vague de xéphobophie et d'islamophobie frappe le pays, avec pour symptômes la montée du parti d'extrême-droite le Front national, la libération de la parole raciste dans la classe politique et certaines lois qui, sous couvert de défense de la laïcité, ciblent spécifiquement la communauté musulmane. Ce à quoi les dessinateurs et rédacteurs du journal répondent qu'il n'est d'humour possible sans droit à être... irresponsable. Là apparaît la limite, la vulnérabilité (ou la force) du journal, placé entre militantisme de gauche, opposé à la xénophobie et à l'extrême-droite mais aussi attaché à la laïcité, et humour ravageur voulant prendre pour cible tous les aspects de la vie et tous les membres de la communauté nationale.

Mais en aucun cas on ne peut prétendre que Charlie Hebdo est raciste. C'est de la calomnie.

Le texte sur facebook

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